une vision de la France
Sarkozy, dans le Figaro
Que répondez-vous à Ségolène Royal lorsqu’elle vous accuse de confondre Valmy et les croisades?
Je ne me reconnais pas dans cette repentance systématique qui va droit au dénigrement de la Nation, lequel conduit à la détestation de soi. C’est la vision d’une certaine gauche, ce n’est pas la mienne. Je ne réduis pas, par exemple, l’action de la France en Algérie à un système incontestablement injuste, mais à l’intérieur duquel un certain nombre de Français ont soigné, ont instruit, ont construit. Ils ne doivent pas être assimilés à ce système injuste.
lors de son discours d’investiture
Ma France, c’est le pays qui, entre le drapeau blanc et le drapeau rouge a choisi le drapeau tricolore, en a fait le drapeau de la liberté et l’a couvert de gloire.
Ma France, c’est celle de tous les Français sans exception. C’est la France de Saint-Louis et celle de Carnot, celle des croisades et de Valmy. Celle de Pascal et de Voltaire. Celles des cathédrales et de l’Encyclopédie.
Celle d’Henri IV et de l’Edit de Nantes.
D’abord une précision : ce n’est pas le coeur de la présidentielle, ce n’est pas l’histoire et ses interprétations qui donnera du travail ou du pouvoir d’achat. Toutefois la façon dont on interpréte l’histoire dit beaucoup sur les conceptions politiques. Par exemple “nos ancetres les gaulois” naît avec la révolution Française, car les nobles auparavant récitaient “nos ancêtres les Francs”. Les gaulois c’est le peuple dans la mythologie française.
Autre précision : ce n’est pas Sarkozy qui est visé là directement, car je ne suis pas sûr qu’il pense sincèrement chacun de ses propos, mais un stéréotype sur l’histoire.
D’abord il y a cette idée que critiquer un pan de l’histoire de France conduit à la “detestation de soi”. Il faut tout prendre dans l’histoire de France, car la France c’est “celle des croisades et de Valmy”, cad celle du fanatisme religieux et celle de la Révolution Française et de l’armée républicaine. Mais il ne s’agit pas de dire que les croisades ne font pas partie de l’histoire de France, il faut savoir si cet héritage est de ceux dont on peut se réclamer. Les croisades, nul besoin de les présenter. Il s’agissait de contrôler Jérusalem aux mains des musulmans. Il s’agit d’un autre temps, et je ne vois pas l’intérêt de convoquer ce symbole. Car la croisade c’est également celle menée contre les hérétiques albigeois, les cathares, cad la croisade des Français du nord contre les occitans, qui s’est traduite par des bûchers. Doit-on alors se réclamer de cette histoire qui massacre des habitants de l’actuel sud de la France au nom de la religion sur injonction du pape ? Ainsi faut-il pour donner des gages à l’électorat traditionnaliste se réclamer de tout ? Dans ce cas pourquoi ne pas aussi mobiliser Vichy et la collaboration ? Non l’histoire est une science mais dès qu’elle entre dans le champ politqiue elle devient un symbole, qu’il faut assumer pour indiquer les valeurs desquelles l’on se réclame. Bien sûr Sarkozy ne revendique pas les valeurs des croisades. Mais le fait même que Bush ait christianisé son discours politique, ou que des terroristes se réclament de la religion, devrait en France nous inciter à ne pas nous réclamer de ses pans d’histoire qui ont vu des massacres au nom de la religion. Combes, non mobilisé par Sarkozy, est celui qui a conduit la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Deuxième référence : l’Algérie. Cet exemple n’est pas pris au hasard, il s’agit de ce qui était mis en avant également dans la lois sur les bienfaits de la colonisation. Oui il ya eu des colons souhaitant agir pour le bien des Algériens. L’alsacien et grand-père de Sartre Schweitzer était de ceux-ci. Mais comme principe, quel est l’intéret de faire référence au rôle positif de la coloniation ? Est-ce nécessaire de donner des gages là aussi à un électorat nationaliste ? La colonisation est également ce système où les autochtones ne sont pas considérés comme majeurs politiquement, où la production est utilisée depuis un ailleurs, etc…
On en vient au coeur : ne pas se réclamer de certaines parties de notre histoire, est-ce se détester soi-même ? Je pense aimer sincèrement ma patrie et ce qu’elle représente. Dans ce passé que je connais, il y a des choses qui me semblent lontaines et étrangères, les croisades par exemple. Je les regrette comme individu mais la France alors signifiait tellement autre chose, l’homme médieval était si différent, que je ne me sens pas solidaire de cette histoire. Je ne me déteste pas, je ne déteste pas la France au motif qu’un roi a lancé des croisades encouragées par le pape et suivies par une partie de la noblesse, et que je ne suis pas fier de cette histoire. Cela ne concerne pas les valeurs actuelles de la France, forgées lors des lumières et du XIX siècle.
Ensuite son interprétation du drapeau tricolore est très personnelle : le bleu et le rouge sont les couleurs de Paris et de la garde municipale qui encadre le blanc de la royauté, vue alors comme symbole de la France. De la même façon Carnot, le président assassiné par un anarchiste, est une référence étonnante.
Nan je crois que cette conception d’une histoire où tout est bon est celle qui conduit plus vicieusement à la detestation de soi, car ne pas voir et assumer les choix discutables du passé est le plus sûr moyen de les reconduire à l’avenir.
Enfin je pense qu’il faut mobiliser des symboles historiques à juste titre. Personnellement je ne suis pas choqué que l’on cite en étant de droite Jaurès, mais à condition d’en reprendre les valeurs et combats. Un individu mort n’en a pas moins eu son histoire. Au moment où Sarkozy envisage de modifier et limiter le droit de grève, souvenons nous des combats de Jaurès auprès des mineurs de Carnaux en grève. Peut-être Sarkozy a-t-il raison de limiter le droit de grève, mais même dans ce cas la référence à Jaurès est abusive et malhonnête. On ne va pas à l’histoire comme on va au marché, en piochant deci delà. Chaque individu mort a son histoire. On peut s’y référer, que l’on soit de gauche ou de droite, mais pas pour provoquer son adversaire politique, sans tenir compte des valeurs et combats du mort ainsi ressucité dans des tactiques discours.
Avant de se réclamer de tellement de symboles, encore faudrait-il en connaître le sens exact.
Certes l’histoire n’appartient à personne, mais cela ne signifie pas que l’on puisse en faire ce que l’on veut.