L\’esprit de partage
L’esprit de partage s’incarne dans cette fin d’année.
Donnedieu voit sa loi anti-pirate fortement amendée dans le sens d’une prise en compte de la specificité du P2P, le partage gratuit (les contrefaiseurs autrement appelés pirates étant à l’inverse mûs par la cupidité pécuniaire) de fichiers musicaux. Bien sûr ce partage ne doit léser personne et une licence globale serait mise en place, de 7 euros par mois soit le prix d’un demi-CD. Ne rêvons pas, l’examen de la loi est reporté au 17 janvier, d’ici là les députés UMP et socialistes récalcitrants seront travaillés au corps, mais c’est réconfortant de voir une autre forme de rémunération collective se mettre en place. Alors on peut doucement se marrer de voir Hidalgo, Lang et Delanoe s’allier à Sarkozy, Sardou ou Donnedieu dans la dénonciation de ces amendements. Jack Lang est connu pour la mise en place du droit à la copie privé, sans aucune contrepartie pour l’artiste, à l’époque où l’instrument de dépouillement des artistes s’appelait “cassette audio”, 45 minutes, 60 minutes ou 90 minutes. En son temps, cet objet fourbe car d’apparence bonhomme dans sa boîte carrée avec sa laisse noire qui vous prenait les pieds était déjà accusé de mettre sur la paille Sardou et Halliday. Hidalgo est la responsable du PS pour les questions culturelles. Ces derniers ne craignent pas d’énoncer que cette licence globale ferait le jeu de l’hypercapitalisme (le canard).
Bon j’arguiote facile car c’est les vacances, allez un petit effort : la tribune de Hidalgo et Girard dans le monde du 27 décembre commence ainsi :
Sommes-nous revenus au temps où l’artiste était tenu de vivre d’amour et d’eau fraîche ? A l’évidence oui !
Après cette phrase introductive qui donne le ton de la qualité argumentative de cette tribune, après l’énoncé des hautes responsabilités de Hidalgo et Girard justifiant de leurs droits à parler (je suis adjoint à la culture), voici l’argument :
Il va de soi que nous nous situons du côté de ceux qui se battent contre cette forme de mondialisation des produits culturels. […] La licence globale est un faux nez d’une uniformisation culturelle très largement engagée.
Donc le téléchargement gratuit ferait le jeu de la mondialisation et de l’uniformisation culturelle. Le téléchargement payant bien sûr pas du tout, c’est évident, il suffit de l’écrire pour que cela saute aux yeux. Les méchants chez Hidalgo et Girard ce sont les fournisseurs d’accès :
Que va-t-il se passer dans les mois et les années qui viennent si ce système est légalisé ? Les fournisseurs d’accès alliés financièrement aux constructeurs préparent déjà leurs alliances avec les multinationales productrices des contenus culturels formatés pour l’industrie culturelle mondiale. Seules trouveront à être diffusées ces “oeuvres” à faible contenu artistique mais formatées pour la consommation internationale.
Déjà c’est accorder bien du pouvoir à la France que de penser qu’elle va révolutionner la donne au niveau mondial si on légalise l’activité de 8 millions de français. Admettons que l’on prenne la même hauteur de vue et que l’on se place dans une analyse des tendances : les fournisseurs d’accès en France sont plutôt pour le moment en conflit avec les producteurs de contenu culturel, lesquels ne sont pas spécialement plus préoccupés que cela par la diversité culturelle. Qu’Hidalgo le veuille ou non, pour le moment la culture est mondialisée, standardisée, s’échange sur un marché, est formatée à un degré très élevé. La tribune de ces deux militants socialistes énonce un scénario catastrophe, le pain et l’eau pour nos artistes, mais je ne vois pas les causalités s’enchaîner à partir de la licence globale.
Et il y a quand même une très grande malhonneteté à parler de “téléchargement gratuit” (trois occurences) alors qu’il est question de faire payer autrement !! Gratuit, c’est quand on ne paye pas, quand on paye une licence globale ce n’est pas gratuit : le mélomane paye, les artistes sont rémunérés via cette licence globale. Je ne vois pas où est la gratuité. La malhonneteté intellectuelle s’ajoute donc là au déficit argumentatif. Un parallèle : quand on paye des impots pour l’usage de routes départementales ou d’écoles pour ses enfants, les routes et les écoles ne sont pas gratuites, elles deviennent un bien collectif car payé par la collectivité. La musique deviendrait donc via cette licence globale un bien collectif, échappant à une régulation par le marché, pour une régulation par un organisme chargé de récolter cette licence globale et de la redistribuer aux artistes et producteurs, après ponction du coût de fonctionnement éventuellement.
En gros en France le CA de vente de disques est un peu moins de 1 milliard d’euros par an . 9 milions de foyers en 2005 ont l’ADSL. Si la licence globale s’applique aux foyers : 756 millions par an. Si la licence passe à 10 euros : plus de 1 milliard d’euros par an à redistribuer. Et de surcroit : soit des gens continueront à acheter des CDs, soit les coûts intermédiaires (réseau de distribution, …) baisseront. Au final AVEC la licence globale on voit qu’au pire les artistes ne sont pas perdants, et l’iinternaute dispose enfin d’un accès illimité et garanti à la culture (car il s’agit bien de cet enjeu là Hidalgo et Girard, socialistes de votre état, et pas de défendre M. Sardou, parmi les 10 meilleurs ventes d’albums en 2004).
Sinon on peut aussi rappeler que les recettes d’un artiste sont certes liés à la vente de disques mais aussi aux prestations live, et là MM Hidalgo et Girard peuvent sortir leurs pharses chocs “depuis la nuit des temps les artistes vivent de concerts et d’eau fraiche”. D’ailleurs avec les sonneries des portables (ah oui quelle belle culture que celle proposée dans un monde sans licence globale) les recettes des concerts semblent en hausse, le consommateur étant prêt à payer cher.
Aux Etats-Unis, qu’on nous présente comme le futur de la déchéance de notre culture (regardez les ventes de disques aux States qui ont préfiguré les baisses en France) :
Selon Pollstar, le chiffre d’affaires des 100 plus grosses tournées américaines s’est monté cette année à 3,1 milliards de dollars, contre 2,8 un an plus tôt. Pas négligeable, même face aux 11,5 milliards de dollars de ventes d’albums CD en 2004.
in l’expansion
Voilà, les prestations live ont été oubliés aussi par Hidalgo et Girard, spécialistes de la culture, pourtant il s’agit de recettes non négligeables, surtout pour des artistes moins connus me semble t’il.
Comme ils le concluent si bien :
un autre monde est possible, celui de la liberté, de la diversité et de l’intégrité
Cet autre monde, ce n’est certainement pas celui proposé par Hidalgo et Girard, celui du statu quo.
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